OAF #9/10 Octobre 2000 : L'adieu aux Thugs

Tout doit disparaître est donc le dernier album ... Etes vous perfectionnistes au point d'avoir voulu gérer même la fin du groupe ? Thierry : Disons qu'effectivement "Tout doit disparaître" est le dernier disque des Thugs, au moins dans cette formule-là. En fait, ce qui se passe c'est que Christophe, le batteur, arrêtant le groupe, étant un des membres fondateurs et influant du groupe, on a décidé d'arrêter le groupe. Ça n'a pas trop de sens de continuer, dans cette formule-là en tout cas. Maintenant ce que nous ferons après, nous n'en savons rien. Peut-être que Eric, Pierre-Yves et moi-même nous continuerons à faire quelque chose, ou pas. On verra. De toute façon, ce ne sera pas Les Thugs. Le seul regret que j'aurai dans la "carrière" des Thugs, c'est que je pense que musicalement on avait encore des choses à dire. Ça ne sera pas dans cette formule-là, tant pis. Ce qui est sûr c'est que, sachant qu'on allait arrêter le groupe, on pensait que ça allait apporter quelque chose de plus par rapport à ce qu'on avait fait jusqu'à maintenant. [...] On venait d'avoir une réunion du groupe en décidant qu'on n'irait pas plus loin après ce disque. C'était en janvier 99, pendant la période des soldes. Pierre-Yves et Eric sont passés à côté d'un panneau "Tout doit disparaître". Pierre-Yves a dit tout simplement : "c'est comme ça qu'on doit appeler le disque". Et enréfléchissant après, outre le fait des soldes, en voyant tout ce qu'il y avait derrière, ça c'est imposé. Il se trouve que c'est en français et que ça peut être un beau pied de nez. Dans cet album, le dernier titre, "I love this way", est une sorte de testament. Quand on écoute bien le texte, on reconnaît les titres de vos chansons. C'est une chanson qui s'imposait pour clore cet album ? On l'a surtout fait pour nous et peut-être pour dire au revoir. Effectivement, les paroles reprennent les titres des chansons des Thugs sur tous les albums. Ça raconte, grosso-modo, l'histoire du groupe, comment on l'a vécu, les tournées, les gens qu'on rencontre. En fait, avec seulement des titres, on a réussi à faire cette petite histoire, à gros traits, du groupe. Tu me parlais tout à l'heure, de l'état d'esprit quand on était en studio. Pour ce dernier morceau, on l'a assez ressenti. Le fait qu'il y ait ces paroles-là, nous a fait rendre compte que c'était bientôt la fin.

Bio (Labels) :

Se politiser, c'est se sentir concerné par les affaires de la ville : en l'occurrence, relativiser son engagement personnel au milieu même de son environnement immédiat. Un peu plus loin, c'est essayer de comprendre quel peut bien être notre rôle dans l'ordre des choses, ne pas se comporter comme un simple consommateur, mais bien essayer par notre activité quotidienne de faire évoluer dans le bon sens le futur de ses proches, et par extension pour le bien de l'inconnu.

Faire de son meilleur chaque jour, ne pas s'attarder sur de petites victoires trop facilement acquises, repousser les frontières de l'imperceptible et aller toujours au plus loin. S'affirmer responsables
C'est pour moi ce qui caractérisera le plus Les Thugs. Un discours avant tout radical, révélé par une musique sentimentale, emprunte d'images sombres car trop réalistes, allégories monstrueuses et métaphores révélatrices du mauvais ordre du monde. Un discours éternellement branleur et peut-être juvénile, mais un discours on ne peut plus véridique, on ne peut plus rock. C'est pour ça que Les Thugs sont toujours noirs. Sur des murs de guitares électriques bien plus forts que tous les traités, solidifiés par des mélodies imparables et si fédératrices, Les Thugs m'auront dévoilé une éthique de vie. J'aurais pris "Suspended Time", "I Love You So", "Waiting", "Magic Hour", "And He Kept On Whistling", "Biking", "Dirty White Race", et plus encore "Is It The Right Way ?" au pied de la lettre. Depuis "Frenetic Dancing", premier 45T d'un mythe naissant, jusqu'au dernier titre "I love this way" - conclusion très intime d'une carrière commencée en 1983, Les Thugs auront été le fer de lance de l'engagement par excellence, véritables catalyseurs de l'esprit de rébellion : sur leurs disques, dans la vie. Exercice périlleux d'être nihiliste, terriblement noir dans l'âme, mais combattre, et combattre encore, même si l'on croit que rien ne changera de toute manière. Avec Les Thugs, nous aurons rêvé de sublime. Leur plus grande victoire est d'avoir fait germer ici ou là ces graines d'espérances : le réveil de la conscience par le pouvoir de la musique, de leur musique. Forgée d'une imagerie puissante et blanche, vierge de tous mauvais sentiments, radicale et pure, cette philosophie déconcertante se sera propagée en quinze années de carrière aux quatre coins de l'Hexagone (et du monde aussi) influençant bon nombre de publics et de groupes.

Une seule arme : la force du poignet sur la six cordes, une théorie musicale qui se résume au binaire, et entendre que cela cogne. Comment ne pas alors idolâtrer l'engagement des Thugs en observant tout le professionnalisme déployé par les quatre frères Méanard ? Gougnaf Mouvement, Closer Rcds, Bondage, Vinyl Solution, Glitterhouse, Sub Pop, Alternative Tentacles, Roadrunner, pas loin de 800 concerts, des tournées dans toute l'Europe, près de 100 concerts aux Etats-Unis, "Radical Hystery", "Electric Troubles", "Dirty White Race", "Still Hangry", "I.A.B.F.", "Moon Over Marin" de la compilation "Virus 100", "As Happy As Possible", "Strike", "Nineteen Something". Les Thugs ont tout gagné, ont tout mérité. Et puis comme de toute façon, "Tout doit disparaître". Puisqu'ils ont su montrer la voie, aux descendants de reprendre le flambeau. Moi, je préfère croire à la fin d'un groupe venant de produire un disque fondamental dans son parcours, regorgeant de nouveaux tubes, travaillé pour une fois avec Tech (le sonorisateur du groupe) : m'étonner encore d'entendre Eric chanter en français en me laissant bercer par ses mélodies à fleur de peau, continuer de croire qu'il est nécessaire de combattre parce que "This World Is Looking Great", me laisser prendre par la force et la puissance des jeux de Thierry et de Pierre-Yves, m'enrager sur "I'm Just Kidding", croire niaisement que je resterai underground comme me l'insuffle "Good Way", regretter les possibilités insoupçonnées d'un quatuor rock qui - j'en suis sûr - n'avait pas fini de tout jouer ("Le Hamac", "Your Smile" et "Rester Debout"), croire que les choeurs et les roulements de Christophe en faisaient même le meilleur batteur du monde"

Reynald